Jules et Berthe NOBLET
Dans la nuit du 5 au 6 mars 1944, deux
berlines noires quittent la route départementale Châteauneuf- Archiac, sur la
commune de Bonneuil, un peu avant la côte du Montet et empruntent le petit
chemin bordé d’arbres qui conduit à la propriété de « La Chabanne»; à
l’intérieur des miliciens français et des membres de la Gestapo allemande. Ils
sont venus pour arrêter Monsieur et Madame Noblet, suite à l’odieuse
dénonciation d’un « français» leur ayant fourni les preuves que les époux
Noblet sont des «terroristes»… c’est à dire des résistants et des patriotes,
auxquels notre pays doit tant.
Ce soir là, Jules Noblet a présidé le Conseil
Municipal de sa commune ; il est en effet Maire de Bonneuil depuis cinq ans et
Conseiller Municipal depuis 1919. Avant cette période, comme beaucoup de
français, il vécut les quatre ans de la guerre 14-18 sur le front, d’où il reviendra
affaibli avec des problèmes pulmonaires. C’est à cette époque que Monsieur et
Madame Noblet s’établissent à La Chabanne où ils exploitent la propriété
agricole familiale.
En ce début mars, Jules et Berthe ont sans doute
terminé les travaux d’hiver dans leurs vignes. Jules va sur ses 59 ans ; son
fils, André est prisonnier en Allemagne depuis le début de la guerre ; aussi,
depuis cinq ans Jules et Berthe se retrouvent-ils souvent seuls à travailler
sur leur propriété et c’est parfois dur. Mais ceci ne les a pas empêché de
refuser très tôt ce qu’est devenue la France depuis la défaite de 1940 ; Ainsi
que de refuser ce régime, aux ordres des nazis, qu’est le régime de Vichy.
Très vite ils comprennent que c’est de Londres que vient l’Espoir. Londres, où
un Général « rebelle» le Général de Gaulle a pris la tête d’une reconquête
pour la Liberté et la Dignité de la France. Ils deviennent tous les deux en 1942
membres du BOA (Bureau des Opérations Aériennes) sous la direction de deux
autres héros charentais René Chabasse et Charles Franc. Le BOA région
Aquitaine, est directement rattaché au BCRA (Bureau Central de Renseignements
et d’Action).
Pendant plus de trois ans le Maire de Bonneuil et
son épouse déploient une énergie et une activité remarquable au service de leur
pays : ils hébergent et protégent des aviateurs alliés tombés dans la région,
les aidant à regagner l’Angleterre ; ils procurent des papiers d’identité,
détournent des titres d’alimentation au profit du Maquis. Ils entreposent chez
eux des armes et des munitions. Ils recueillent également un nombre important
de réfractaires au STO (service du travail obligatoire au profit des allemands).
Monsieur Noblet fournit aux alliés les plans de la poudrerie d’Angoulême ; ce
qui va permettre la réussite de sa destruction par l’aviation anglaise. Jules
et Berthe Noblet s’occupent aussi des refuges de Juac et d ’Anqueville, qui
sont des lieux importants pour le Maquis charentais.
Durant cette nuit du 5 au 6 mars 1944, Jules et
Berthe sont conduits à Angoulême à la maison d’arrêt. Ils y restent jusqu’au 19
mai, date du départ d’un convoi ferroviaire pour Compiègne. A partir du début
juin 1944 Jules et Berthe vont être définitivement séparés au terme d’une vie
faite d’une complicité totale, familiale, professionnelle et patriotique.
Jules va être déporté le 4 juin au camp de
Neuengamme (prés de Hambourg). Il y tombe vite malade, suite aux conditions de
transport et de détention ; il y meurt le 26 novembre 1944 d’une pneumonie.
Berthe est déportée au camp de Ravensbruch (ancienne
Allemagne de l’Est) le 8 juin 1944 ; très affaiblie, elle aussi, par les
conditions de vie, elle y meurt à la fin de l’année 1944, peu de temps avant sa
compagne de résistance et de déportation Mll Marcelle Nadeau *(institutrice à
Bonneuil en 1940). Madame Noblet avait 53 ans.
Monsieur Noblet avait retrouvé au camp de Neuengamme
un autre charentais, M Emmanuel Vignaud d’Angeac. M. Vignaud, survivant de ce
camp témoignera de l’exceptionnelle générosité de Jules Noblet qui, sentant
qu’il ne reviendrait pas, donnait tout ce qu’il pouvait à ses compagnons de
cellule.
Le 18 mai 1945 Monsieur Noblet a été réélu Maire de
Bonneuil par ses conseillers municipaux qui espéraient encore son retour.
Le fils de Jules et de Berthe, André Noblet, libéré
par les alliés en 1945 découvre et pleure la disparition de ses parents. Il
reprend la propriété de La Chabanne ; les deux filles aînées d’André Noblet,
Jacqueline et Geneviève, de part la volonté de leurs parents, apprennent
l’allemand au collège.
Ainsi les deux petites filles de Jules et Berthe ont
eu très tôt des correspondantes allemandes avec qui, aujourd’hui encore, elles
entretiennent des relations amicales, par delà les frontières et l’Histoire.