La vallée de la "Font qui Pisse"
La commune de Châteauneuf compte parmi ses richesses de remarquables atouts touristiques : d’anciens, comme son église, de plus récents comme les aménagements des bords de Charente et d’autres millénaires comme la vallée de « La Font qui Pisse »1.
Nous ne débattrons pas ici de l’origine géologique de ce joyau naturel et peut-être les hommes qui vivaient là il y a quinze, vingt mille ans ou davantage, s’interrogeaient-ils déjà : lointaine présence de la mer ou vallée d’effondrement en pays calcaire ? Le ruisseau qui coule au fond de la vallée m’inciterait à retenir cette dernière hypothèse, mais c’est celle d’un non-spécialiste, et qu’elle ne soit pas une référence !
Ce qui est certain, c’est que l’homme a laissé des traces fort anciennes et que des outils en silex taillés découverts au début du siècle dernier en sont la preuve. Des restes osseux d’un grand intérêt ont également été mis à jour dans les années soixante.
A la fin du dix neuvième, un sentier muletier débouchait face à la plus majestueuse des falaises, au lieu dit « Les Rouaillours » car c’est là qu’on faisait rouir le lin afin de l’effilocher et de le tisser ensuite. A ce chemin, est attachée une légende qui mérite d’être contée, un brave homme affublé du sobriquet de « Dorsdebout » prétendit avoir un soir vu apparaître la Vierge, celle-ci lui aurait même fait des révélations qui s’avérèrent exactes.
A flanc de rochers, une petite grotte, « La Chambre Carrée » est accessible par une sente et des marques de pas sont profondément creusées dans le rocher … Dans les années cinquante, nous, les garçons « indigènes », au risque de nous casser le cou, allions recueillir les oeufs des corneilles3 qui nichaient là et le père Pignon qui exploitait la mini carrière qui sert de parking aux escaladeurs avait même, quelques années auparavant, tout à côté, creusé un mini puits ( toujours là) pour récupérer le miel des abeilles qui s’étaient installées dans un trou de la falaise.
Le botaniste s’émerveillera en herborisant sur le flanc de la colline, car poussent ici des plantes méditerranéennes : c’est l’une des raisons pour lesquelles cette vallée est classée. Le genévrier y est roi.
Mais laissons la parole au curé Edouard Martin qui, il y a plus de trois quarts de siècle a décrit de façon remarquable, églises et villages de notre canton :
« L’intéressante station préhistorique de Haute Roche commence à La Pelleterie et se termine au Cruzeau, dont le nom rappelle les refuges souterrains des anciens temps. Malgré les destructions barbares et inexcusables accomplies par les tailleurs de pierre et les carriers à ce autorisés, … »
Toujours actuelle, voilà une fort belle introduction au propos qui va suivre : que faire pour que nos enfants, nos petits enfants et ceux qui les suivront puissent à leur tour flâner au pied des rochers ?
Il est hautement probable que les nombreuses et vastes carrières souterraines autour de « Chez Delaisse » ont fourni la pierre de taille nécessaire à la construction de bien des bâtiments de la ville. Elles sont anciennes. Elles sont en train d’être rasées par le carrier, ce que la municipalité précédente a non seulement laissé faire mais soutenu. Elles n’avaient pourtant aucune incidence négative sur l’aspect de la vallée, pas davantage que celles qui il y a quelques années abritaient des champignonnières autour de « La Perdrix Rouge » et qu’on n’a su préserver.
Ce que je crains, c’est qu’avec les énormes moyens employés aujourd’hui, les falaises de la vallée deviennent une simple façade masquant un trou énorme. Les habitants d’Haute Roche, du Cruzeau, mais également ceux de Fontaury, des faubourgs de la ville, connaissent le choc sourd et violent qui accompagne les explosions des mineurs, les bâtiments souffrent, l’effet de souffle décale tuiles et charpentes.
Nobel est connu de tous pour les prix qui portent son nom, moins comme inventeur de la dynamite. Dès la fin du 19ème siècle, la mise sur le marché d’explosifs puissants a conduit à la destruction d’une superbe avancée rocheuse qui recouvrait la route, a mi-côte entre la « Font qui Pisse » et « Delaisse ». Malheureusement, la hauteur du « plafond » gênait le passage des charrois de foin ou de paille élevés. Ces mêmes explosifs auraient tout aussi bien permis d’abaisser le niveau de la route et préserver la voûte rocheuse…
La source de « La Font qui Pisse » que connaissait nos grands-parents et permettait au bétail de s’abreuver, au lavoir d’accueillir les lavandières des villages d’Haute Roche et du Cruzeau, aux enfants des villages d’aller y remplir leur cruche d’eau fraîche, ne coule plus aussi généreusement suite à des éboulements provoqués par les explosions répétées.
Lorsqu’on arrive à Châteauneuf par l’est, la première chose que l’on aperçoit est l’immense balafre blanche dans nos collines.
Chacun connaît le problème, de tout temps nos responsables l’ont examiné, pris entre le marteau des emplois générés et l’enclume de la préservation de ce site. On a beaucoup réfléchi, parlé, promis mais toujours laissé faire …
Un ambitieux projet de réaménagement existe, à l’horizon 25 ans : le plus somptueux des tombeaux n’héberge qu’un mort !
R. Fuzeau
Notes
1-Je ne parlerai ici que de la zone de la vallée qui s’étend du « Mauvais Pas » à « Delaisse »
2-C’est ce que racontait les « anciens » du village : Emilienne, Raymond, Raymonne, Adélina…
3- La corneille était alors considérée comme nuisible et sa destruction encouragée, une prime était versée pour chaque oeuf
4-Histoire de Châteauneuf, librairie Bruno Sepulchre