Ah, ces jeunes !
La jeunesse a toujours été contestée par certains représentants des générations antérieures. Ces laudateurs d'un passé idéalisé par le profond regret de leur propre jeunesse ne cessent de répéter : « si tu savais, de mon temps… », nous connaissons tous la rengaine ! Et qui, parmi nous, gens d’âge mûr, ose prétendre qu’il n’a jamais « hurlé avec les loups » ?
La jeunesse actuelle, peut-être plus qu’autrefois, a ses détracteurs qui la considèrent en bloc vide, inculte, obsédée de bruit et de fureur, scotchée à un écran, qu’il soit de téléphone, d’ordinateur ou de télé.
Une jeunesse assoiffée de violence, sans éducation, sans culture, impolie, esclave servile d’un modèle dont le dieu se nourrit de billets verts.
Cette mise en question est injuste et largement inexacte dans la mesure où l'existence de quelques marginaux ou de quelques casseurs ne doit pas masquer celle d'une jeunesse, riche de la diversité de ses origines, qui condamne la violence, n'idolâtre pas plus que leurs aînés les chanteurs ou acteurs à la mode, et qu'anime la ferme volonté d'édifier une société où seront encore mieux respectées dignité et égalité entre les hommes et les femmes. Le dévelop-pement vertigineux des sciences et des techniques en accélérant « le temps social » aggrave la mésentente entre les générations : ringards et dépassés les vieux !
A cette mise en question qui ne se justifie, et encore, qu'à l'égard de quelques adolescents perdus et ne se légitime que si les adultes, acteurs responsables des désordres présents de notre civilisation, la retourne contre eux-mêmes, s'en ajoute une autre qui vient du monde présent. Ce monde, tout au moins celui qui est le nôtre en occident, frustre trop largement leur besoin d'aventure, d’imprévu, de risque même, en raison de l’organisation « trop carrée » de la sécurité, de la multiplicité et de la rigidité de ses structures, de l'extension à la planète entière d'un même modèle de civilisation.
Ainsi se trouve en partie étouffée, muselée ce qui est la mission principale de la jeunesse, contester. Contester, avec une ingratitude désinvolte, l'ordre et les valeurs établis pour inventer et promouvoir une nouvelle société qu’ils espèrent moins inhumaine. Les mouvements collégiens, lycéens, étudiants, malgré leurs excès et la pagaille ambiante apparente sont un signe de bonne santé. Le rêve utopique d’une génération prend forme plus tard, s’épanouit des années après et devient ringard à son tour ! Si à vingt ans on ne rêve pas de refaire le monde, c’est qu’à vingt ans on est déjà un vieillard !
En plus, notre société occidentale les prive trop sou-vent d'une vraie famille où la présence des parents, leur tendresse, les valeurs humaines qu’ils leur in-culquent, assurent à leurs enfants la sécurité affective sans laquelle ils ne peuvent surmonter le stress de l'adolescence, assumer la solitude de l'individualité, affronter les risques angoissants de la liberté.
La publicité omniprésente, l'incitation permanente à posséder d'innombrables objets, génère des consom-mateurs avides et voraces, insensibles à des valeurs plus profondes, moins matérielles. Il les uniformise en même temps que leur besoin d'originalité est mis à mal, anesthésié, voire châtré.
Il laisse insatisfait leur goût de l'activité en faisant d'eux, par abus de la télévision, d’Internet, des jeux vidéos, des spectateurs et des voyeurs parfois, rarement des acteurs.
« C'est alors au plus profond d'eux-mêmes que ce monde dangereusement met en question les jeunes car il crée en eux, par l'insuffisance des conditions nécessaires à la maturation de leur personnalité et les entraves qu'il lui oppose, un redoutable désé-quilibre entre d'une part une affectivité restée infantilement égocentrique et d'autre part la précocité de la puberté, la puissance du développement physique et, pour certains, le niveau élevé de 1a culture intellectuelle. Cette distorsion entre un coeur d'enfant et un corps d'adulte explique en partie le suicide d'un nombre croissant de jeunes et le malaise de tous ». (B. Belanger).
En débat avec le monde depuis toujours et jusqu'à la fin des temps la jeunesse doit également l'être avec elle-même pour s'affirmer, afin que s’affine progressivement un homme nouveau digne des défis toujours renouvelés de la vie, avec des femmes et des hommes qui sauront rester généreux, ouverts, solidaires leur existence entière, comme on l’est à vingt ans !
Jeunes, le vieux ringard que je suis, vous accorde toute sa confiance !
R. Fuzeau