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Nostalgie

Certains d’entre vous connaissent « La Font qui pisse » et la pittoresque vallée bordée de falaises qui y conduit. Sur le coteau, en face de ce qui reste de la fontaine et du lavoir, à 3km du centre ville il y a un petit hameau qui porte le nom de « Haute-Roche ». Son implantation est très ancienne et liée probablement à la présence de cette source généreuse qui jaillissait naguère dans la vallée. Mais si je vous parle de ce lieu discret et charmant, c’est pour vous décrire ce qu’était au milieu des années cinquante, la journée d’écolier et la vie du petit garçon que j’étais. Toute la famille, nous étions cinq en tout (mes parents mes deux soeurs et moi) dormions dans une même grande chambre de 35m² où il y avait trois lits garnis d’une paillasse, d’un lit de plumes et recouverts, outre d’épais draps en « métis » d’une couverture et d’un « couvre-pieds » de laine (parfois un édredon bourré de plumes d’oie ou de canard). On chauffait la pièce, en hiver, avant de se mettre au lit, par une flambée dans la grande cheminée. Par grand froid maman posait devant le feu une brique qu’elle pliait, une fois chaude, dans un morceau de journal et plaçait au fond du lit pour le réchauffer et nous tenir les pieds chauds. Maman nous réveillait tôt, elle avait auparavant « pansé » puis trait avec mon père les vaches. Lait chaud, pain grillé et confiture nous attendaient. Après s’être – très – rapidement et sommairement « débarbouillé » à l’aide d’un gant humecté par le maigre filet d’eau froide que la « cassotte 1», placée sur un seau, laissait couler : l’eau courante(1) ce sera vingt ans plus tard, nous étions prêts. Une petite anecdote avant de poursuivre : il n’y avait, vous l’avez compris, pas de salle de bains ou même de douche à la maison ni dans le hameau (les citadins disposaient des bains-douches municipaux) et la toilette était sommaire, voire même facultative ou oubliée. Heureusement une ou deux fois dans l’année, et dans le cadre scolaire, nous avions une « visite médicale » obligatoire. Deux ou trois jours avant notre maître nous prévenait : c’était alors la veille ou l’avant veille la grande toilette dans un baquet, ou une lessiveuse, pour les petits : l’eau chauffait dans une marmite accrochée dans la cheminée à une crémaillère au dessus d’un feu de bois… Mes deux soeurs, nos deux voisins et moi partions tous les cinq à pied, le sac d’écolier à la main, les garçons une musette contenant le « quatre-heures » sur le dos, les pieds chaussés de galoches. Je me souviens encore des petits citadins de ma classe qui nous appelaient « les galochards », car eux portaient des chaussures à semelle de cuir. Souvent, nous rejoignaient à la « Font qui Pisse » Serge et Christian du Cruzeau, Mimi des Chamelières. Assez régulièrement les garçons extirpaient alors de leur musette ou de leur poche un lance pierres et chemin faisant projetaient des cailloux en direction des merles imprudents qui sortaient des « palisses » bordant la route, les « raborteaux »(2) eux mêmes n’étaient pas épargnés. Le tir était imprécis, rarement létal. En arrivant à l’entrée de la ville, là où s’élève aujourd’hui les bâtiments de la maison de retraite Félix Gaillard, un mur de pierres entourait le terrain de foot d’alors. Au pied du mur ronces et orties nous permettaient de cacher nos « armes » que nous retrouverions le soir. Les très rares fois où je revenais avec un oiseau dans ma musette, ma mère le plumait et me le faisait cuire : des lecteurs penseront sans doute que le rapport à l’animal a évolué ? Certains jours, il fallait arriver un peu plus tôt car c’était notre « tour de ménage » : verser de l’encre dans les encriers, remplir de charbon le seau près du poêle, distribuer les « cahiers du jour » … Cette année-là je préparais le concours d’entrée en classe de sixième ; nous étions trois postulants et notre jeune maître, M. H. Denis, nous gardait à «l’étude » le soir pour nous faire travailler encore et encore : dictées, grammaire, problèmes. Il fallait réussir absolument. Les autres élèves passaient l’année suivante en classe de fin d’études, celle du directeur M. Maillard, pour préparer le certificat d’études ou tenter un « repêchage » et entrer en 6ème,. Dès l’âge de 14 ans, la majorité de mes camarades rejoignaient le monde du travail, beaucoup avec le certificat d’études en poche. Pur produit de l’école de la République, j’exprime ici ma reconnaissance aux enseignants de l’école de garçons -la mixité viendra plus tard-, Mlle Michelot, M. Alligant, Senez, Mesnard, Denis et le directeur M. Maillard, car ils savaient combien la réussite à l’école allait nous permettre « de nous en sortir ». Mes soeurs, mes petits voisins étaient rentrés depuis longtemps quand à mon tour, je devais revenir à la maison. L’hiver il faisait nuit, il faisait froid, et il fallait suivre une route déserte, affronter les ombres maléfiques que la lune faisait jouer sur le chemin blanc, au fond de la vallée. Sans compter qu’il y avait déjà, à cette époque là, des jours sans lune, de pluie ou de neige ! Ma mère, quand son travail à la ferme le lui permettait, et surtout si des « baladins (5)» s’étaient pour deux ou trois jours, avec leurs roulottes de bois et leurs ânes et chevaux, installés dans « la Carrière des Baladins », entre « Fontaury » et le « Mauvais Pas », essayait de venir « à mon avance », à pied bien sûr. Nous avions, ces jours là, pour consigne stricte de passer vite et de ne pas nous arrêter pour admirer les gitanes tresser des paniers avec l’osier recueilli près du ruisseau tout proche. Le jeudi, jour de repos, le dimanche, nous allions garder les vaches, et pendant que les calmes ruminants broutaient, nous apprenions nos leçons de géographie, d’histoire ou de « leçons de choses ». S’il faisait frisquet on allumait un petit feu et soulevait des pierres(3) pour découvrir quelques « cagouilles(4) » et les cuire sur la braise. Un délice ! Pendant les vacances scolaires, en fonction de notre âge, il fallait participer au sarclage des betteraves ou « tirer le cavaillon » dans les vignes, aider aux moissons, aux « batteries », aux vendanges. Notre seule sortie annuelle, était le voyage de fin d’année organisé par l’école … et quand arrivait la période de Noël, pour beaucoup d’enfants de mon âge, nous recevions une ou deux oranges et quelques friandises ! Au retour des vacances ce serait à qui aurait l’imagination la plus délirante pour décrire aux copains ébahis les cadeaux somptueux trouvés dans la chaussure placée malgré tout devant la cheminée le soir de Noël. Les trois quarts mentions, tous s’ébahissaient et aucun n’était dupe ! … je n’aurais un vélo qu’une fois entré en sixième : une seule classe de 16 élèves pour le Cours Complémentaire de Châteauneuf, qui rassemblait les enfants de toute sa circonscription (le canton à quelques exceptions près). Matin et soir, à bicyclette, les élèves parcouraient les kilomètres les séparant de Bouteville, Eraville, Angeac, St Même, Birac … quel que soit le temps et la saison. René venait de « Douvesse », Michel de « Chez Farchaud »… Ah, ce bon vieux temps !
René Fuzeau.
Notes :

1-Première télé dans le hameau 1967, eau courante 1973, téléphone 1976… Les sanitaires au fond du jardin, derrière les vaches dans un coin du bois…
2- Palisse : haie. Raborteau : roitelet ou tout petit oiseau
3- De nombreux champs étaient délimités par des murets en pierres sèches
4- Cagouille : escargot
5- Baladin : on dirait aujourd’hui « gens du voyage ». Un aire leur était réservée à cet emplacement. Un renfoncement existe toujours un peu avant d'arriver "rue de la Font qui Pisse"

maitre d'école, sur un manuel des années 50
font qui pisse 1916, Raymond Amilien, mon oncle
Seau et cassotte